Contribution de l’Union sociale pour l’habitat sur le projet de révision de la décision 2012/21/UE relative aux aides d’Etat et au SIEG « Logement »
Le projet de la Commission européenne concernant l'application de l'article 106, paragraphe 2, du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE), relatif aux aides d'État octroyées à certaines entreprises chargées de la gestion de services d'intérêt économique général (SIEG), publié le 4 octobre 2025, soumet à consultation la révision de la Décision 2012/21/UE actuellement en vigueur.
La Commission européenne, seule compétente pour réglementer les aides d’État, propose avec ce nouveau texte de revoir spécifiquement les dispositions relatives à ces aides accordées aux entreprises en charge d’un SIEG.
Concernant le logement, il est proposé de redéfinir les contours de l’actuel SIEG « logement social », tel que défini en droit national à l’article L. 411-2 du Code de la Construction et de l’Habitation, et de créer une seconde catégorie de SIEG « logement abordable ».
L’objectif annoncé est de prendre en compte l’évolution de la crise dans l’accès au logement de ménages qui ne pourraient bénéficier des dispositions existantes en faveur du logement social.
Le projet propose également de préciser les conditions d’application dans les États membres des SIEG qu’il vise.
Ces dispositions soulèvent de nombreuses interrogations et incohérences.
L’Union sociale pour l’habitat (USH), association française, qui représente environ 600 bailleurs sociaux et plus de 5 millions de logements, souhaite répondre à cette consultation de la Commission européenne et faire valoir ses observations.
L’USH souhaite au préalable faire savoir qu’elle n’est pas favorable à la création d’un SIEG « logement abordable », distinct du SIEG actuel, et réaffirme son attachement à la stabilité du cadre juridique applicable, tel que défini par la Décision 2012/21/UE.
Plusieurs raisons guident cette opposition :
Notre expérience acquise de longue date dans l’application du SIEG existant démontre que la décision actuelle offre une base suffisamment inclusive et robuste pour répondre aux besoins des ménages fragilisés dans l’exercice de leur droit au logement, dans un contexte de crise économique et de dérégulation des marchés immobiliers.
Ce régime de SIEG permet de rendre éligibles au logement social les catégories populaires, les retraités modestes ainsi qu’une part importante des salariés. Il permet de proposer des logements à des ménages dont les revenus correspondent à ceux de plus de 70 % de la population française, (étant précisé qu’en intégrant la condition de ne pas être propriétaire de sa résidence principale, 37% de la population française est éligible). Nous ne partageons donc pas la nécessité de créer un SIEG distinct pour répondre aux besoins de logement des 30 % de la population ayant les revenus les plus confortables.
À titre d’exemple, pour un couple avec un enfant, les plafonds de ressources pour accéder à un logement social à Paris et dans les communes limitrophes s’échelonnent de 31 369 €/an pour un logement PLAI, à 52 284 €/an pour un logement PLUS et 67 969 €/an pour un logement PLS.L’existence d’un SIEG unique et suffisamment large, dont l’exemple français démontre la pertinence, permet de mutualiser les moyens et les effets de levier entre les différents publics, et de mener des stratégies de mixité sociale. Les marges de manœuvre dégagées par les organismes de logement social sont utilisées au bénéfice du logement des ménages modestes. Cette solidarité est essentielle pour permettre au système de fonctionner. Rappelons que 36 % des occupants du parc social en France ont des revenus inférieurs au seuil de pauvreté.
Nous n’ignorons pas que le secteur immobilier « aidé » suscite beaucoup d’intérêt de la part d’opérateurs privés qui ne priorisent toutefois pas dans leurs stratégies les publics modestes les plus en difficulté dans l’accès au logement. Dans ce contexte, le cadre juridique actuel constitue une garantie essentielle, permettant de maintenir un équilibre entre les différentes offres sociales, en fonction des niveaux de ressources.
Nous considérons donc que la création d’un SIEG « logement abordable » distinct du SIEG actuel viendrait inévitablement fragiliser le SIEG actuel. Nous plaidons donc pour le maintien d’un SIEG unique, avec le cas échéant un léger ajustement pour satisfaire les États membres demandeurs d’une révision, en incluant les travailleurs essentiels. Ces craintes sont confirmées à la lecture détaillée du projet de décision.
Nous notons en effet que concernant le SIEG « logement abordable », le projet de décision vise « les ménages qui ne peuvent pas accéder à un logement à des prix abordables en raison des conditions du marché », mais ne fait pas référence à de groupes sociaux. Il introduit une définition peu claire du public cible recourant à des notions telles que « ménages qui ont réellement besoin » d’un logement abordable, « les conséquences du fonctionnement du marché » et « défaillances du marché ».
En outre, force est de constater que le considérant (22) du projet de décision : « Afin de préserver la concurrence sur le segment du marché du logement abordable, les SIEG en matière de logement abordable devraient être ouverts à tous les acteurs du marché capables de fournir ces services au prix le plus bas pour la même qualité de service » et le point 2 e) de l’Annexe « il doit être ouverts à tous les prestataires capables de fournir le service, indépendamment de leur statut juridique et/ou de leur caractère public ou privé » ouvrent le SIEG logement abordable à tous les opérateurs économiques. Or, si le SIEG logement abordable est ouvert à tous les opérateurs économiques, le critère de sélectivité de l’aide de l’Etat ne serait pas rempli. Aussi, les États membres seraient privés du large pouvoir discrétionnaire dont ils disposent en application du principe de subsidiarité, de désigner librement sur le plan national les opérateurs économiques susceptibles d’être chargés de la fourniture d’un SIEG.
En effet, en l’absence d’harmonisation et considérant que la notion de SIEG est évolutive, il doit appartenir à chaque Etat Membre, conformément au principe de subsidiarité, de définir précisément les activités relevant de SIEG et les opérateurs qui en sont en charge. Ce principe est d’ailleurs rappelé dans le considérant (9) du projet de décision.
Le projet de décision présenté dépasse donc largement le pouvoir de contrôle des instances européennes qui doit se limiter à un contrôle de l’erreur manifeste d’appréciation et établit, à travers les conditions cumulatives d’application listées en annexe 1, un contrôle étroit des Etats Membres dans la mise en œuvre des SIEG. Cela s’apparente à une harmonisation contrainte, qui n’est pas l’objectif annoncé de la révision de la décision sur les aides d’Etat et les SIEG.
Nous avons par ailleurs noté plusieurs points de rédaction dans le projet de Décision SIEG logement social révisé qui ne nous semblent pas être de nature à favoriser le développement de l’offre :
Sur les conditions visées au point 1) de l’annexe 1 relatives au SIEG du logement social
Ainsi, les propositions de modifications apportées au SIEG de logement social au point 1 b) interrogent sur la notion de normes minimales de qualité des logements en vigueur dans les Etats Membres.
Cette insertion complétée par le considérant (21) qui évoque une longue liste de critères très variés comme l’accessibilité, la résilience climatique, la surface des logements, et modes de chauffages, les sanitaires, la santé, l’éducation, la mixité, etc, reprend de manière incohérente des règlementations fixées par les Etats Membres ou l’UE selon leurs compétences respectives. Il est difficile de comprendre en quoi celle-ci est en lien avec la règlementation en matière d’aides d’Etat.
Par ailleurs, il est important d’opérer une distinction entre les logements sociaux neufs à produire et ceux à réhabiliter (réhabilitation lourde) qui doivent effectivement satisfaire des normes de qualité en vigueur pour la construction neuve dans chaque Etat Membre, et, des logements sociaux existants.
En érigeant en critère les normes minimales de qualité, on pourrait s’interroger sur la question de savoir si les aides d’Etat pourraient alors financer le coût des opérations de rénovation/remise en état de logements existants, sans viser nécessairement l’atteinte d’une norme de qualité de logements ?
Nous sommes défavorables aux formulations du point 1 c) de l’annexe et du considérant (20) du projet de décision qui indique que « Les prix des SIEG en matière de logement social doivent être suffisamment inférieurs aux prix du marché pour permettre aux personnes défavorisées ou aux groupes sociaux défavorisés d’accéder au logement. »
En effet, les prix de loyers ou de vente de logements sociaux sont fixés par les règlementations de chaque Etat Membre au regard de leur propre définition de logement social. En France, la réglementation tient compte du principe du « loyer d’équilibre », qui suppose que le prix de revient de logement ne soit pas inférieur au coût de production, aide d’Etat incluse.
Par ailleurs comment ce considérant (20) de la décision qui indique que le loyer du logement doit être suffisamment bas pour permettre au public social d’y accéder, peut fonctionner quand, dans le point 1 a) de l’annexe, les personnes sans abri sont visées ? Peut-on vraiment parler d’adaptation de loyer quand on évoque cette dernière catégorie de personnes très défavorisées, généralement sans ressources ?
De plus la décision qui fait entièrement reposer l’accessibilité sociale sur le loyer, fait fi du régime des aides personnelles qui viennent accompagner la solvabilité.
Enfin, le considérant (20) pose le principe selon lequel les Etats Membres peuvent prendre en compte dans la fixation des loyers des coûts d’énergie et autres coûts annexes. Nous sommes opposés au couplage des coûts d’énergie et des coûts de loyer qui, en droit national, font l’objet de règlementations et soutiens financiers distincts (APL loyer et APL charges).
Par ailleurs, le point 1 e) relatif aux coûts à prendre en compte dans le calcul spécifique de la compensation pour le SIEG de logement social soulève une difficulté d’articulation avec les articles 5 (compensation), 6 (bénéfice raisonnable) et 7 (contrôle de la surcompensation) de la décision dans la mesure où il impose un double encadrement de cette compensation par rapport aux 4 autres catégories de SIEG visés dans le projet de décision.
Ce point crée également des incertitudes sur les activités menées par les entreprises chargées du SIEG de logement social qui sont couvertes par la compensation dans le cadre de ces aides d’Etat exemptées de notifications.
La rédaction du point 1 e) semble exclure l’accession sociale à la propriété des coûts à prendre en compte, et mêle de manière confuse l’activité financée et les bénéficiaires. Il nous parait indispensable de préciser que l’accession sociale à la propriété - production neuve ou vente de logements sociaux existants à leur locataires - entre bien dans le cadre du futur SIEG logement social (ce qui est le cas actuellement en France) et peut donc continuer à bénéficier des aides d’Etat en la matière.
La formulation actuelle des articles 5, 6 et 7 est plus appropriée pour que les Etats membres puissent définir ce qui relève de l’accomplissement d’une mission de SIEG dans le logement.