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SIEG de logement social : comment qualifier l'erreur manifeste ? Arrêt CJUE attendu pour le 15 novembre 2018, 9h30.

Evénement
Laurent GHEKIERE
Laurent GHEKIERE Publié le 28 septembre 2018 à 09:37

En attendant l'arrêt du 15 novembre, l'audience du 20 juin dans les affaires T-202/10 et T-203/10 a confirmé les divergences d'analyse entre d'une part les bailleurs sociaux requérants (fondations de logement néerlandaises) et d'autre part la Commission en qualité d'autorité européenne de concurrence et les investisseurs privés à l'origine de la plainte pour aides d'Etat illégales aux bailleurs sociaux néerlandais (IVBN).
SIEG de logement social : comment qualifier l'erreur manifeste ? Arrêt CJUE attendu pour le 15 novembre 2018, 9h30.

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En attendant l'arrêt du 15 novembre qui sera décisif pour l'avenir du logement social dans l'Union européenne, l'audience du 20 juin 2018 dans les affaires T-202/10 et T-203/10 a confirmé les divergences d'analyse entre d'une part les bailleurs sociaux requérants (fondations de logement néerlandaises) et d'autre part la Commission en qualité d'autorité européenne de concurrence et les investisseurs privés à l'origine de la plainte pour aides d'Etat illégales aux bailleurs (IVBN).

Le point de vue des bailleurs sociaux (fondations de logement)

Selon le représentant des bailleurs sociaux, la Commission a empiété sur la compétence des Pays-Bas à définir le logement social en tant que SIEG.

Or la compétence de la Commission reste strictement limitée à vérifier, à la marge, s'il n'y a pas d'erreur manifeste dans cette qualification de SIEG et d'en fournir la preuve par une analyse des besoins en logement et de l'effectivité de la défaillance des seules forces du marché à satisfaire ce besoin essentiel.

Un besoin social particulier car le droit au logement est reconnu par les Etats-membres et dans la constitution hollandaise, il relève de surcroît des engagements internationaux des Etats-membres notamment dans le cadre du Conseil de l'Europe et de la Commission Economique pour l'Europe des Nations-Unies.

Quant au droit à l'accès au logement social, il relève tout simplement du socle européen des droits sociaux et le droit à l'aide au logement de la Charte des droits fondamentaux de l'Union et par conséquent du Traité sur le fonctionnement de l'Union.

Un dossier particulièrement sensible politiquement à la veille des élections européennes de mai 2019 et compte tenu de la montée en puissance des populismes anti-européens.

Selon les requérants, non seulement la Commission n'a pas fourni la preuve de l'erreur manifeste de qualification de SIEG du logement social, mais elle a imposé une mesure rigide au moyen d'une définition centrée sur un plafond de revenus unique et un groupe cible restreint défini a priori.

La Commission a ainsi empiété sur la large marge de manoeuvre d'un Etat-membre à définir de façon discrétionnaire le SIEG et ainsi dépassé sa compétence qui se limite à vérifier cette absence d'erreur manifeste de cette qualification du logement social de SIEG. 

Une qualification de SIEG qui se veut avant tout protectrice du bon accomplissement des missions d'intérêt général qui lui sont imparties par les Etats-membres conformément aux dispositions du Traité (art.106.2 TFUE).

Selon les bailleurs sociaux, la Commission n'a pas démontré l'erreur manifeste, n'a pas fourni les preuves de cette erreur manifeste, ni d'analyse de la nature des besoins sociaux en logement mais elle s'est limitée à la proclamer.

En effet, elle se fonde simplement sur la taille du groupe cible en pourcentage de la population et non pas sur la nature des besoins sociaux à satisfaire compte tenu de la défaillance des marchés du logement à fournir un logement abordable pour tous, y compris aux classes moyennes.

L'erreur manifeste de qualification de SIEG relève d'une simple affirmation, d'une analyse négligeable et contestable, d'un manque de motivation si ce n'est le postulat du caractère par essence résiduel d'un SIEG à caractère social.

La Commission a en effet imposé sa propre définition des tâches d'intérêt général imparties au logement social aux Pays-Bas, imposé ses propres mesures utiles en limitant par principe le SIEG social à un groupe cible restreint en pourcentage de la population.

La Commission  a ainsi empiété sur la large marge discrétionnaire des Pays-Bas à définir le SIEG de logement social compte tenu des besoins sociaux en logement des ménages au-delà des seules personnes défavorisées, et a fortiori en se basant sur une Décision prise pour un autre Etat-membre disposant d'une autre conception du logement social et d'une autre structuration du marché du logement (Irlande - Housing Finance Agency - 2001).

Les bailleurs sociaux ont également mis en avant que huit ans après la mise en application de cette Décision par l'introduction d'un plafond de revenus unique de 33.000 euros, un plafond de revenus fixé quels que soient la taille du ménage et le niveau de prix de l'offre du marché local de logement, les ménages à revenus moyens, désormais exclus de l'accès au logement social, restent exclus de certains marchés du logement, notamment les key workers dans les zones tendues.

Et de citer l'exemple de quatre grandes villes en manque d'instituteurs compte tenu des prix des logements sur le marché libre et de leur exclusion de l'accès au SIEG de logement social.

Mais également de citer l'exemple de logements sociaux désormais vacants car ne pouvant plus accueillir cette demande intermédiaire pourtant non satisfaite par l'offre commerciale de logements.

Selon les bailleurs sociaux, 400.000 ménages dans le besoin ont ainsi été exclus de l'accès au SIEG de logement social suite à la Décision de la Commission.

Les bailleurs sociaux ont confirmé auprès du Tribunal leur demande d'annulation de cette Décision de la Commission.

 

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Le point de vue de la Commission

A cela, le représentant de la Commission a répondu en confirmant que le logement social relevait d'une compétence exclusive des Etats-membres, qu'elle était intervenue suite à une notification du régime existant de financement du logement social par les Pays-Bas et suite à une plainte d'opérateurs privés (IVBN) sur les aides d'Etat aux fondations de logement compte tenu de leur intervention sur le marché du logement intermédiaire et sur d'autres activités commerciales.

La Commission a rappelé la jurisprudence constante de la CJUE quant à la compétence des Etats-membres à définir le SIEG, à leur large marge d'appréciation en la matière exceptée en cas d'erreur manifeste.

Dans le cas d'espèce, la Commission a insisté sur la définition insuffisamment précise du SIEG de logement social et du mandat des fondations de logement (absence de définition du groupe cible, activités commerciales inclues dans le SIEG...) et de la concurrence déloyale que cela pouvait entraîner.

Et de préciser que, conformément à la procédure de coopération applicable aux régimes d'aides d'Etat existants, la Commission n'a rien opposé aux Pays-Bas mais émis des recommandations de mise en conformité suite à la notification et à la plainte, elle n'a en aucun cas imposé un niveau de plafond de revenus.

Et de préciser que les Pays-Bas, compte tenu de l'évolution des besoins en logement des ménages à revenus moyens, avait toute capacité à les intégrer au SIEG de logement social par une adaptation de ce plafond de revenus mais également par d'autres moyens utiles comme les subventions à la location (allocation logement) versées directement aux ménages occupant un logement sur le marché.

La Commission demande au Tribunal le maintien de la Décision et rappelle la capacité des Pays-Bas à notifier tout nouveau régime d'aide d'Etat et nouvelle définition du SIEG du logement social qui tiendraient compte de l'évolution des besoins sociaux en logement.

 

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Le point de vue des investisseurs privés

Quant aux investisseurs privés à l'origine de la plainte pour aides d'Etat illégales (IVBN), ils ont mis en avant l'absence de définition claire du SIEG de logement social, l'absence de mandat SIEG et de règles permettant de vérifier l'absence de surcompensation ou de subventions croisées, l'absence de comptabilité séparée par l'inclusion dans le SIEG d'activités commerciales, voir le développement d'activités "exotiques" qui ont fait l'objet d'un rapport parlementaire.

Et de conclure par le soutien à la Commission de ne pas annuler cette Décision, en précisant que la loi sur le logement avait été votée à l'unanimité du Parlement et que depuis son entrée en vigueur, ils avaient accru leur offre commerciale de logements intermédiaires abordables.

 

Commentaires :

Qu'est-ce qu'un SIEG de logement social ? C'est un logement dont les conditions d'occupation sont soumises à des obligations de service public imposées par l'Etat-membre afin d'accomplir des missions particulières d'intérêt général également définies par l'Etat-membre (droit au logement, défaillance du marché du logement à satisfaire l'ensemble des besoins, discrimination, insalubrité, diversité de l'habitat, mixité sociale etc...). Ces obligations de service public se déclinent généralement en termes de conditions d'accès à ces logements, de fixation des prix et des loyers ou encore de sécurité d'occupation pour les ménages bénéficiaires. Les conditions d'accès à ces logements dit publics, sociaux, abordables ou encore intermédiaires ou de "protection officielle" se déclinent par la définition de critères objectifs de priorité d'accès (quotation de la demande, gestion des listes d'attente), de critères de convenance ou encore de critères plus généraux d'inscription de type plafonds de revenus. Les organismes de logement social sont chargés par mandat de la production et de la gestion de ces logements sous obligations de service public et recoivent à ce titre des aides d'Etat sous la forme de compensations de service public qui sont régies par une Décision de la Commission européenne (2012/21/UE).

- Outre la question-clé de la compétence des Etats-membres à définir les SIEG sociaux et leurs bénéficiaires au-delà d'une approche résiduelle exclusive mais sur base des réels besoins sociaux, et dans le cas d'espèce des besoins en logement tels qu'ils s'expriment sur les marchés locaux, et ce conformément aux valeurs communes de l'Union en matière de service d'intérêt général établies au Protocole N°26 TFUE à savoir pour mémoire :

"- le rôle essentiel et le large pouvoir discrétionnaire des autorités nationales, régionales et locales pour fournir, faire exécuter et organiser les services d'intérêt économique général d'une manière qui réponde autant que possible aux besoins des utilisateurs;

- la diversité des services d'intérêt économique général et les disparités qui peuvent exister au niveau des besoins et des préférences des utilisateurs en raison de situations géographiques, sociales ou culturelles différentes;

- un niveau élevé de qualité, de sécurité et quant au caractère abordable, l'égalité de traitement et la promotion de l'accès universel et des droits des utilisateurs.",

- Outre le fait que ce nouveau protocole a été imposé par le Premier Ministre hollandais à ses homologues du Conseil lors de la révision du Traité, et ce en réaction à cette décision de la Commission. Une ligne rouge qui a conditionné l'acceptation du nouveau TFUE par les Pays-Bas,

- Outre l'existence ou non de négociations "privées" entre le cabinet Kroes et les autorités compétentes des Pays-Bas sur le niveau de plafonds de revenus "acceptable" (plafond unique de 33.000 euros négocié et imposé par la Commission pour certains, librement proposé par les Pays-Bas sur base de simples recommandations de la Commission pour d'autres),

- Outre l'existence possible de négociations des niveaux de plafonds de revenus acceptées par les Pays-Bas en contrepartie de l'acceptation par la Commission d'un régime d'aide au renouvellement urbain de 40 quartiers défavorisés de logements sociaux,

-Outre l'absence de transparence et de traces écrites de ces "négociations privées" que l'on ne peut que regretter dès lors qu'elles sont essentielles pour que le tribunal puisse se proncer sur le fond de l'affaire, sur l'imposition ou non d'un plafond de revenus et de son niveau par la Commission,

- Outre le vote à l'unanimité du Parlement de ce plafond de revenus, large adhésion démocratique à cette réforme pour certains, pour d'autres un vote contraint par l'accord privé négocié avec la Commission sur ce plafond et par le risque de remboursement des aides d'Etat illégales par les Corporations de logement en cas de rejet de cet accord par le Parlement,

- Outre le caractère doublement discriminatoire d'un plafond de revenus unique fixé indépendamment de la composition et de la taille du ménage et indépendamment du niveau de prix du marché local du logement de référence,

- Outre la nécessité largement admise aujourd'hui d'un mandat SIEG et d'obligations de service public clairement définis conformément aux dispositions de la Décision 2012/21/UE et d'une séparation comptable en cas de coexistence dans une même entité d'activités SIEG et d'activités commerciales,

le tribunal devra trancher la question du logement intermédiaire (affordable housing) et de sa qualification de SIEG de logement social par les Etats-membres face aux tensions croissantes sur les marchés du logement des grandes villes européennes et à la crise du logement qui touche d'abord les ménages défavorisés et se manifeste par une forte croissance des personnes sans-abri ou mal logées. Un crise du logement qui touchent également les classes moyennes et autres "key workers" désormais exclus de ces zones tendues et de plus en plus contraints à se loger à distance de leur lieu de travail.

Le tribunal ne peut pas ne pas tenir compte du fait que le logement abordable est devenu un enjeu pour l'Union européenne et que l'erreur manifeste de qualification de SIEG n'est pas un concept idéologique de services sociaux par définition résiduels mais doit être appréciée au regard des besoins en logement et de l'effectivité de la défaillance des forces des marchés locaux du logement à les satisfaire.
Il devra en effet intégrer le fait que depuis la notification des Pays-Bas de 2002, le logement social est devenu un enjeu à part entière pour l'Union européenne :

- qu'au titre des investissements de long terme en infrastructures sociales, le logement social est soutenu par le rapport Prodi : "Boosting Investment on Social Infrastructure in Europe"considérant les besoins en logement et le manque d'investissement en la matière,
que le logement social est repris par la Commission Juncker dans sa proposition de programme 2021-2027 "InvestEU" ainsi que dans ses propositions de politique de cohésion post-2020,

- que le logement social est financé par la Banque Européenne d'Investissement, la banque de l'Union européenne, à hauteur de 9,5 milliards d'euros (2011-2017) dans le cadre de l'agenda urbain européen,
- et enfin et surtout, que les investissements en logement social reposent sur des aides d'Etat qui sont aujourd'hui nécessaires non seulement à la mise sur les marchés d'une offre de logements abordables, mais également nécessaires à la mise en oeuvre effective du socle européen des droits sociaux et du droit à l'accès au logement social pour les personnes dans le besoin.
Ce socle européen relève d'un accord interinstitutionnel entre le Conseil, le Parlement européen et la Commission selon lequel "les personnes dans le besoin doivent bénéficier d’un accès au logement social ou d’une aide au logement de qualité".

cf Chapitre III du socle européen des droits sociaux : "protection sociale et inclusion sociale", paragraphe 19.

Qu'est-ce qu'une personne dans le besoin au regard de la défaillance des seules forces du marché du logement de l'Union européenne à satisfaire l'ensemble des besoins en logement ? Sans-abri, mal-logés, insolvabilité, discrimination, sur-occupation, co-habitation parentale, taux d'effort excessif, précarité énergétique... ?

Mario Monti, Commissaire à la Concurrence de la Commission Prodi, avait parfaitement résumé la problématique du logement social dans le marché intérieur et l'intérêt communautaire à le soutenir, en conclusion de sa Décision sur les aides d'Etat à la Housing Finance Agency (IRL), je cite :

« Social housing is fully in line with the basic objectives of the EC-Treaty. It is a legitimate element of public policy and as it is limited to what is necessary it is in the interest of the Community that social housing is supported ».

Mario Monti - State Aid N209/01 – 3rd july 2001

Les principes de nécessité et de proportionnalité à appliquer aux besoins en logement des européens et l'affirmation dès 2001 de l'intérêt de l'Union à investir dans le logement social.

Wait and see. L'arrêt du tribunal est programmé pour le 15 novembre 2018 à 9h30 (salle verte) CJUE Luxembourg

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Il mettra un terme à 16 années de procédure initiées dès 2002 par la notification par le gouvernement hollandais des dispositions de sa loi sur le logement de... 1901 et des aides d'Etat au logement social existantes bien avant le Traité de Rome !

Le temps européen est un temps long ! Never surrender !

LG

En savoir plus : pièces du dossier

T-202/10 RENV II

T-203/10 RENV II

Requête JO

Fiche dossier T-202/10

Fiche dossier T-203/10

et la pièce maîtresse pour mémoire :

Protocole N°26 TFUE

Les hautes parties contractantes, souhaitant souligner l'importance des services d'intérêt général, sont convenues des dispositions interprétatives suivantes ci-après qui sont annexées au traité sur l'Union européenne et au traité sur le fonctionnement de l'Union européenne : 

Article premier

Les valeurs communes de l'Union concernant les services d'intérêt économique général au sens de l'article 14 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne comprennent notamment : 

"- le rôle essentiel et le large pouvoir discrétionnaire des autorités nationales, régionales et locales pour fournir, faire exécuter et organiser les services d'intérêt économique général d'une manière qui réponde autant que possible aux besoins des utilisateurs;

- la diversité des services d'intérêt économique général et les disparités qui peuvent exister au niveau des besoins et des préférences des utilisateurs en raison de situations géographiques, sociales ou culturelles différentes;

- un niveau élevé de qualité, de sécurité et quant au caractère abordable, l'égalité de traitement et la promotion de l'accès universel et des droits des utilisateurs.",

Voir également le débat au sein du Parlement européen sur le SIEG de logement social du 18 mai 2010.

 

RDV à la CJUE, plateau de Kirchberg à Luxembourg (face à la BEI qui finance le logement social :-) le 15 novembre à 9h30 en salle verte (séance publique). @CourUEPresse #CJUE

 

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