Le logement social dans l'Union européenne

Le logement social dans l’UE - in le rapport de la Fédération hypothécaire européenne HYPOSTAT 2018

 

Le présent article sur le logement social dans l’Union européenne a sa place dans le rapport d’Hypostat pour deux raisons principales :

  1. Tout d’abord, il répond à une volonté de faire la lumière sur une problématique qui caractérise, de diverses manières et à des degrés différents, le marché du logement ainsi que les choix possibles en matière de logement dans l'Union européenne. Le logement social est une dimension importante qui doit être prise en compte dans toute réflexion sur le concept, plus vaste, de "l’abordabilité du logement". Il a également un impact non négligeable sur le marché de l’hypothèque : avec moins de logements abordables, les contraintes pour les prêteurs et les charges qui pèsent sur les candidats à l’accession à la propriété augmentent.
  2. Deuxièmement, cet article se veut une première étape vers une coopération plus structurelle entre la Fédération hypothécaire européenne et Housing Europe sur les différentes problématiques qui intéressent nos deux fédérations, comme par exemple le rôle actuel et futur du financement privé dans le logement social et les challenges associés. Une telle coopération accroît la valeur ajoutée créée par Hypostat, compte tenu notamment de l’importance grandissante du débat sur le logement et l’abordabilité, tant au niveau national et qu’au niveau européen.

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Introduction

Le concept de « logement social » renvoie, d’une personne à l’autre, à une image différente selon les régions géographiques et les époques – des « cités ouvrières » et du mouvement des cités jardins aux grands ensembles de logements publics des années 60, aux projets communautaires de petite envergure ou aux exemplaires bâtiments à consommation d'énergie quasi nulle.

Il n’y a rien de surprenant à cela, étant donné qu’il n’existe non pas une mais plusieurs définitions du « logement social » dans l’Union européenne. Le secteur se caractérise en effet par la grande diversité des situations et des politiques nationales mises en place en matière de logement.

Pour compliquer encore davantage les choses, aucune définition officielle du « logement social » n’a été adoptée dans la plupart des pays et l’expression elle-même n’est pas employée partout. On parle àde « logement à loyer modéré » (HLM) en France, de « logement commun » ou de « logement sans but lucratif » au Danemark, de « promotion du logement » en Allemagne, de « logement à profit limité » en Autriche, de logement de protection officielle en Espagne, pour ne citer que quelques exemples.

Dans l’ensemble, l’abordabilité des loyers et l’existence de règles concernant l’attribution des logements après examen des besoins ou de la situation socio-économiques des ménages (c’est-à-dire l’attribution par des mécanismes administratifs et non par les mécanismes du marché) constituent les principales caractéristiques communes que l’on peut observer concernant le « logement social » dans l’UE.

 

Parc de logement social dans l'Union européenne

Il est à noter que, bien que le logement social soit généralement assimilé à la location sociale, les logements abordables qui sont proposés à la vente ou dans le cadre de programmes de copropriété sont également souvent considérés comme des logements sociaux.

Toutefois, compte tenu des difficultés rencontrées pour identifier statistiquement le stock de logements disponibles en accession sociale à la propriété, la taille du secteur est généralement évaluée d’après les données sur le parc de logements locatifs sociaux. L’illustration montre, pour chaque pays, le nombre total de logements sociaux locatifs disponibles par rapport au parc total de logements.

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PART DU LOGEMENT SOCIAL LOCATIF SUR LE STOCK TOTAL DE LOGEMENTS, UE 28 (2017)

Remarque : *Dans les cas de la Suède et de la République tchèque, les données concernent les logements municipaux (publics) qui ne sont utilisés qu’en partie à des fins sociales.

Source : Housing Europe. État du logement dans l’Union européenne 2017

 

Si c’est au Royaume-Uni et en France qu’on trouve le plus gros stock de logements sociaux en valeur absolue (avec respectivement 4,9 et 4,8 millions d’unités), les Pays-Bas sont le pays qui présente, avec plus de 30 % du parc total de logements, la proportion la plus élevée de logements sociaux en Europe, suivis de l’Autriche (24 %) et du Danemark (20 %).

À l’autre bout du classement, la plupart des pays d’Europe de l’Est présentent une proportion extrêmement faible de logements sociaux locatifs (suite à la privatisation des anciens logements publics d’Etat qui a accompagné la disparition des régimes communistes).

De la même manière, la plupart des pays méditerranéens privilégient traditionnellement les politiques qui encouragent l’accès à la propriété et comptent très peu de logements sociaux locatifs, voire pratiquement pas comme c’est le cas par exemple de la Grèce et de Chypre.

Bien qu’il existe un large secteur du logement social dans un certain nombre de pays d’Europe de l’Ouest, sa taille relative diminue en règle générale depuis deux à trois décennies, en partie en raison du ralentissement de la construction de nouveaux logements sociaux ainsi que des politiques qui encouragent la vente du parc public.

Toutefois, la demande en logements sociaux, quant à elle, ne baisse absolument pas, comme le montre par exemple le nombre croissant de ménages inscrits sur liste d’attente (Parlement européen 2013), de sans-abris (Feantsa 2018) ou de ménages qui croulent sous les frais de logement (Eurostat 2015 et State of Housing dans l’UE 2017).

Par exemple, la proportion de ménages qui peinent à faire face à leurs frais de logement dans l’UE est passée de 9,9 % en 2009 à 11,3 % en 2015 et l’augmentation a encore été plus forte chez les ménages menacés par la pauvreté, parmi lesquels cette proportion est passée de 34,5 % à 39,3 % au cours de la même période (Eurostat 2015).

 

Les acteurs concernés

Dans la plupart des Etats de l'Union européenne, le logement social a vu le jour à l’initiative du secteur privé (associations caritatives et sociétés privées qui ont construit des logements pour leurs employés, mais aussi solutions coopératives/initiatives personnelles), en réponse aux nouveaux besoins en logement résultant de l’industrialisation et de l’urbanisation massives du début du XXe siècle.

Plus tard, face aux besoins immédiats en logements de la période qui a suivi la Deuxième Guerre mondiale, de nombreux Etats européens ont repris à leur compte ces initiatives privées dans le but de les généraliser à plus grande échelle.

Dans beaucoup de pays européens, des programmes d’investissement public de grande envergure ont ainsi été lancés afin de construire de nouveaux logements abordables.

Toutefois, les années 90 se sont caractérisées par une décentralisation des responsabilités au niveau régional et au niveau local, qui s’est associée à un retrait des acteurs publics, jusqu’alors fournisseurs directs de logements (sociaux). Aujourd’hui, les initiatives privées et sans but lucratif ont pris (ou repris) un rôle de plus en plus important dans la fourniture de logements sociaux, souvent grâce à des subventions publiques, à des programmes de financement du logement et à la régulation du secteur.

Du fait de cette évolution, aujourd’hui, dans la majeure partie de l’Union européenne, on observe, dans le secteur du logement social, une combinaison d’acteurs, parmi lesquels des fournisseurs publics (généralement des municipalités, soit en direct soit par l’entremise de sociétés publiques spécialisées) et des fournisseurs de logements sans but lucratif ou à profit limité, qui coexistent souvent avec un secteur privé en plein développement.

Bien que, dans plusieurs états membres de l’Union européenne, la présence de logements publics soit toujours très importante (ex.  : Suède, mais aussi Royaume-Uni, France), on tend à constater une plus forte présence du logement social dans les pays dotés d’un gros secteur sans but lucratif.

On peut définir ces acteurs comme des « associations pour le logement » au sens large, expression qui renvoie à une grande diversité d’organisations indépendantes (associations, sociétés, organisations caritatives, fondations et coopératives) sans but lucratif ou à but lucratif limité qui ont pour mission de fournir des logements de bonne qualité à de nombreux pans différents de la communauté, tout en permettant aux résidents de participer à la gestion du service et au fonctionnement de l’entreprise. C’est notamment le cas aux Pays-Bas, au Danemark, en Autriche et au Royaume-Uni.

Des acteurs non spécialisés participent de plus en plus à la fourniture de logements sociaux (promoteurs commerciaux et propriétaires privés par opposition aux fournisseurs spécialisés sans but lucratif « agréés »).

Par exemple, en Allemagne, toutes les catégories de fournisseurs de logement peuvent bénéficier de programmes de financement public en échange de l’utilisation provisoire d’un logement à des fins sociales.

En Irlande, les ménages inscrits sur liste d’attente pour un logement social peuvent demander à bénéficier d’un « complément de loyer » qui peut être utilisé pour obtenir un logement locatif privé.

 

Attribution et ménages bénéficiaires des logements sociaux

Dans quelques Etats-membres, le logement social est encore ouvert à pratiquement tous les citoyens (approche universelle, typique par exemple des sociétés de logement public en Suède) ou à tous ceux qui ne dépassent pas certains plafonds de revenus définis de façon très générale.

Dans ces pays, le secteur joue un rôle de régulation du marché et favorise la mixité sociale, comme le veulent les politiques locales ou nationales. Toutefois, dans la plupart des cas, seuls les ménages pour lesquels il est considéré que le marché ne peut proposer un logement bénéficieront d’un logement social (approche ciblée).

Comme indiqué ci-dessus, l’attribution d’un logement social se fait sous condition de ressources, généralement en comparaison avec le salaire moyen ou minimum. Des critères d’accès peuvent également être définis d’après des critères de besoins (conditions de logement au moment de la demande : sans-abris, logement inadapté, suroccupation, etc. comme c’est généralement le cas au Royaume-Uni) ou des critères relatifs aux bénéficiaires tels que les groupes vulnérables (jeunes, personnes âgées, familles nombreuses, handicapés, etc.).

La durée d’inscription d’un ménage sur la liste d’attente est également un critère déterminant. Même dans les cas où l’accès n’est pas restreint de manière absolue comme au Danemark, les coûts de construction et la taille des logements sont limités pour les nouvelles constructions.

En tout état de cause, cela signifie que les fournisseurs de logements sociaux logent un nombre disproportionné de personnes pour lesquelles il serait difficile voire impossible d’accéder aux logements proposés sur le marché privé.

Il convient de mentionner que, dans la plupart des cas, le système d’attribution des logements est contrôlé par la municipalité dans une volonté de garantir et d’accélérer l’accès au logement social pour les groupes cibles et les cas d’urgence, comme le prévoient les politiques locales et nationales.

Une fois la demande enregistrée, des critères de priorité sont souvent employés pour établir l’ordre d’attribution des différents demandeurs inscrits. Ces critères ont pour but de garantir que les personnes qui ont le plus besoin d’un logement social sont servies en premier. Les critères peuvent également varier en fonction des besoins locaux et des lacunes du marché du logement local, comme par exemple la nécessité d’attirer certaines catégories d’employés ou de professionnels clés ou encore de fournir un logement aux étudiants et aux jeunes dans le but de revitaliser les zones dont la population est vieillissante, etc.

En effet, l’une des plus grandes difficultés que rencontrent de nombreuses villes européennes de nos jours, hormis la lutte contre la pénurie de logements abordables dans la plupart des zones urbaines attractives, est de renforcer la mixité sociale et de lutter contre la ségrégation socio-spatiale.

 

Financer le logement social dans l'Union européenne

Pour construire des logements, les fournisseurs de logements sociaux ont recours à un certain nombre de sources de financement qui varient énormément dans les différents Etats de l'Union européenne.

Dans un même pays, les capitaux nécessaires à la construction de logements sociaux proviennent dans la plupart des cas de différentes sources de financement, parmi lesquelles les subventions publiques (Etat ou collectivités locales), les prêts et garanties publics à des taux favorables ou les prêts à taux bonifiés.

Par ailleurs, les fournisseurs de logements sociaux empruntent souvent aux banques ou sur le marché des capitaux ou encore émettent des obligations. De plus, la Banque d’investissement européenne (BEI) joue un rôle de plus en plus grand dans l’investissement dans des projets de logement social, rôle qui est souvent facilité par des agrégateurs nationaux, comme c’est le cas avec la Housing Finance Corporation (THFC) au Royaume-Uni.

Un grand nombre de fournisseurs de logements sociaux puisent dans leurs propres ressources et dans leurs propres excédents pour obtenir plus de financement sur les marchés des capitaux ou pour financer directement leurs projets.

Certains fournisseurs de logements sociaux qui ont en parallèle une activité commerciale utilisent les fonds générés par les ventes privées pour financer la construction de logements sociaux et abordables.

Autre source de financement à signaler dans quelques pays : une contribution des locataires qui est généralement versée au début de la période de location. Les loyers payés par les locataires constituent une source de financement de logements neufs tout aussi importante. De même, les aides financières versées aux locataires, telles que les allocations logement, sont elles aussi une aide importante non seulement pour les ménages en situation difficile mais aussi pour les fournisseurs de logements sociaux parce qu’elles leur garantissent que leurs sources de revenus seront préservées.

Les politiques de logement varient parfois d’une région à l’autre d’un même pays, comme c’est le cas par exemple dans les Etats fédéraux de l’Autriche et d'Allemagne ou dans les quatre pays du Royaume-Uni. En dépit de cette complexité, les études réalisées jusqu’ici sur le logement font la distinction entre les interventions côté offre et les interventions côté demande, également appelées parfois en anglais « object subsidies » et « subject subsidies ».

Traditionnellement, des programmes d’investissement public dans la construction de logements neufs ont été lancés pour remédier à la pénurie de logements à laquelle ont été confrontés de nombreux pays d’Europe au lendemain de la Première et de la Deuxième Guerres mondiales. Les subventions accordées pour la construction étaient alors considérées comme le moyen le plus efficace pour lutter contre ce problème. Dans de nombreux cas, c’est la construction de logements sociaux ou publics qui a permis de remédier à ce problème. C’est ainsi qu’il a été possible de remédier aux pénuries de logement les plus graves et d’améliorer la qualité des logements.

 

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PART DE L’INVESTISSEMENT PUBLIC SUR LES DÉPENSES CONSACRÉES AU DÉVELOPPEMENT IMMOBILIER ET AUX ALLOCATIONS LOGEMENT DANS L’UE DE 2007 À 2016

  • Développement offre de logements
  • Allocations logement

Source : Eurostat (2016), Classification des fonctions de l'administration publique (COFOG)

 

En dépit de la grande diversité des systèmes de logement qui existent en Europe et de plusieurs exceptions à cet égard, on constate depuis plusieurs dizaines d’années que les subventions côté demande sont de plus en plus souvent privilégiées par de nombreux pays européens, bon nombre d’entre eux dépensant plus en allocations logement qu’en subventions côté offre ou en construction de nouveaux logements.

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DÉPENSE PUBLIQUE CONSACRÉE À LA CONSTRUCTION DE LOGEMENTS DANS L’UE

 

Millions d’euros

Pourcentage de la dépense publique totale

Source : Eurostat (2016), Classification des fonctions de l'administration publique (COFOG)

 

Si, en 2009, les investissements étaient répartis à parts égales entre la construction de logements neufs et les allocations logement, la balance s’est mise dès 2015 à pencher nettement en faveur des allocations logement, qui représentent aujourd’hui près des trois-quarts (73 %) des dépenses publiques consacrées au logement (voir également Housing Europe 2017).

L’une des principales raisons de cette évolution réside dans la baisse de l’investissement public dans la construction de nouveaux logements. La part de la dépense publique consacrée au logement dans l’Union européenne est de fait passée d’environ 40 milliards à 27 milliards au cours des dix dernières années.

Alors qu’en 2007, 0,7 % environ du PIB total de l’UE a servi à subventionner la construction de logements neufs, ce pourcentage n’était plus que de 0,4 en 2016.

On constate en particulier cette tendance à la baisse de l’investissement dans le logement dans les pays où le secteur locatif est très développé, parmi lesquels le Danemark, la France, les Pays-Bas et la Suède.

Aujourd’hui, à la place de l’aide publique au logement social, la construction bénéficie souvent de réductions du coût du financement obtenu sur le marché des capitaux privés. Par exemple, l’aide publique peut prendre la forme d’un investissement privé garanti par l’Etat ou de garanties de l’Etat (les associations pour le logement social qui empruntent sur le marché privé bénéficient d’une garantie de l’Etat qui leur permet de bénéficier de conditions plus favorables auprès des banques commerciales) (UNECE 2015 et CEB 2017).

 

Conclusions

Malgré la grande diversité des systèmes de logement et des mécanismes de financement, de nombreux fournisseurs de logements sociaux européens se heurtent à des problèmes similaires.

En raison de la baisse de l’investissement public dans le secteur, il devient de plus en plus difficile de fournir les logements abordables, dont le besoin se fait pourtant cruellement sentir.

Dans les zones urbaines en particulier, de plus en plus de gens ont du mal à trouver des solutions abordables pour se loger et sont contraints de consacrer une grosse partie de leurs revenus à leurs dépenses de logement. Et ceci est vrai non seulement pour les ménages à faibles revenus mais de plus en plus aussi pour les revenus moyens.

Par conséquent, fournir un logement sûr et abordable, ce n’est pas seulement aider ces ménages financièrement, c’est aussi garantir aux ménages la possibilité de choisir le quartier, la ville ou la région où ils veulent vivre, que ce soit près ou loin de leur lieu de travail, de l’endroit où ils font leurs études ou de l’endroit où ils ont leur réseau social.

Comme nous l’avons dit dans l’avant-propos, la question de savoir comment rendre le logement plus abordable se pose avec de plus en plus d’acuité aujourd’hui, tant au niveau national qu’au niveau européen, et le logement social joue un rôle important dans cette réflexion.

Alors qu’un nouvel équilibre politique se dessine et que le réchauffement climatique et la mutation démographique sont déjà une réalité, les États membres de l’Union européenne sont à un carrefour historique concernant leurs systèmes de logement.

Quelle voie vont-ils choisir cette fois-ci ?

 

Gerald Koessl, Alice Pittini, Mariel Whelan

Hypostat 2018 - a review of Europe's Mortgage and Housing Markets

European Mortgage Federation - Housing Europe

September 2018

 

Sources

Congrès Hlm