Semestre européen 2022 : un outil agile pour faire face aux crises successives

Le paquet de printemps du semestre européen publié hier, qui devait illustrer un retour « à la normale », renouvelle en partie son caractère exceptionnel au regard de « l’environnement géopolitique et économique sans précédent » que connait l’Europe.

Les éléments du cycle annuel de coordination des politiques économiques des Etats membres sont de retour et notamment les recommandations par pays, qui s’étaient appuyés en 2021 sur les plans nationaux de reprise et de résilience, mais s’adaptent à nouveau aux urgences.

Les objectifs sont la transition écologique et numérique ainsi que la sécurité énergétique, objectifs renforcés par la guerre en Ukraine qui pose également la question des dépenses militaires nécessaires, et tout cela dans un contexte inflationniste, et plus particulièrement des prix de l’énergie et de l’alimentation.

Des « nouveaux défis » sont à relever alors que les conséquences économiques de la crise sanitaire semblaient s’éloigner et la croissance revenir. Cette situation justifie donc pour la Commission européenne de faire perdurer la clause dérogatoire au pacte de stabilité et de croissance en 2023. Il reste ainsi en pause.

La communication de la Commission européenne relative au Semestre 2022 précise que « le semestre européen et la facilité pour la reprise et la résilience (qui finance les réformes et les investissements jusqu’en 2026) fixent des cadres solides pour garantir une coordination efficace des politiques et relever les défis actuels ».

Cette coordination se fait autour de 4 objectifs : l’environnement, la productivité, l’équité et la stabilité macroéconomique.

Les recommandations par pays devront de plus intégrer un nouvel élément, adopté la semaine passée, le plan REpowerEU, qui a vocation à réduire la dépendance à l’égard des combustibles fossiles notamment russes et à accélérer le pacte vert pour l’Europe, lui-même inclu dans les plans nationaux pour la reprise et la résilience.

L’agilité de la gouvernance économique et sa rapidité d’adaptation aux crises successives est à souligner.

Concernant la question du logement, la communication relative au semestre 2022 relève que des inégalités se sont creusées malgré une atténuation des conséquences de la crise sanitaire grâce aux mesures prises, mais que l’objectif d’équité, incluant la mise en œuvre du socle européen des droits sociaux, , justifie la nécessité pour certains Etats membres d’accroître la disponibilité de logements sociaux abordables.

En matière de déséquilibres macroéconomiques, l’analyse pointe pour l’ensemble de l’Union européenne l’augmentation des prix, qui est la plus rapide depuis 10 ans.

« Les prix du logement ont continué d’augmenter fortement, dans un contexte de demande soutenue et d’offre limitée. En 2021, la hausse des prix réels des logements s’est encore accélérée dans la plupart des États membres qui, dans certains cas, ont enregistré leur plus forte hausse en dix ans. On peut s’attendre à ce que l’offre limitée, déjà avérée avant la pandémie, le reste au cours des prochaines années. Les annonces de durcissement des conditions de financement au cours des derniers mois ont sans doute conduit à l’anticipation de certaines décisions d’achat provoquant une hausse supplémentaire des prix. Lorsque des hausses de prix se sont produites dans un contexte d’endettement élevé – et croissant – des ménages, les ménages et les prêteurs peuvent afficher une plus grande vulnérabilité face à d’éventuelles corrections à la baisse des prix des logements. »

Déséquilibres macroéconomiques : analyse logement par pays

Irlande: La forte croissance des prix du logement reste un problème en termes d’accessibilité financière du logement, mais les risques pour la stabilité macroéconomique semblent jusqu’à présent limités.

Allemagne : L’investissement résidentiel a progressivement augmenté à partir d’un niveau assez bas, mais l’offre reste inférieure à la demande de logements

Pays Bas : L’endettement élevé des ménages rend les ménages plus vulnérables aux chocs, étant donné que les fortes hausses des prix du logement ont contribué à la hausse de la dette et que les prix de l’immobilier semblent surévalués. L’endettement des ménages devrait rester élevé compte tenu de la poursuite de la croissance des prix de l’immobilier et des distorsions sur le marché du logement qui favorisent la propriété financée par l’emprunt, conjuguées à une pénurie de logements. Des mesures limitées ont été prises, mais il reste encore beaucoup à faire.

Suède : Les vulnérabilités sont liées au niveau élevé, et à la hausse, des prix de l’immobilier et à l’endettement élevé des ménages. En 2021, les prix de l’immobilier se sont encore éloignés des valeurs fondamentales, les conditions financières favorables continuant à alimenter la demande de logements. Le niveau élevé de la dette des ménages expose la Suède à un risque de chocs défavorables et de correction désordonnée des prix de l’immobilier résidentiel, ce qui pourrait avoir des conséquences néfastes pour l’économie réelle et le secteur bancaire. La dette privée a encore augmenté, en grande partie concentrée dans l’immobilier, tant commercial que résidentiel, et la majeure partie de la dette hypothécaire des ménages est à taux d’intérêt variable. Les mesures prises par les pouvoirs publics n’ont pas suffisamment corrigé les vulnérabilités liées à la dette du logement et aux éventuelles surévaluations des prix de l’immobilier. On observe encore des incitations fiscales en faveur des logements financés par l’emprunt, une offre insuffisante et des lacunes dans le fonctionnement du marché locatif. Les mesures prévues dans le PRR ne remédient aux vulnérabilités que de manière partiellement satisfaisante.

 

Les propositions de recommandations par pays en matière de logement concernent la République Tchèque, le Danemark, la Lituanie, les Pays bas, l’Espagne et la Suède

  • La République Tchèque fait l’objet de remarques sur le problème de l’abordabilité des logements et  du manque de logements sociaux et d’une législation cohérente en la matière. Il lui est recommandé de renforcer la fourniture de logements sociaux et abordables et d’adopter un cadre règlementaire spécifique.
  • Le Danemark devrait stimuler l’investissement dans la construction de logements abordables afin d’atténuer les besoins les plus pressants au regard du manque de logements abordables.
  • La Hongrie où la hausse des prix des logements pose un défi supplémentaire aux familles à faible revenu, qui ont du mal à accéder aux programmes d’aide au logement public et où les logements sociaux sont devenus rares et souvent délabrés devrait améliorer l’adéquation de l’aide sociale et assurer l’accès aux services essentiels et à un logement adéquat pour tous.
  • La Lituanie où il manque une stratégie et des investissements en logement social, où les listes d’attente et la qualité pas suffisante, devrait améliorer la qualité et l’accès au logement social.
  • Les pays Bas font face à une surévaluation des prix de l’immobilier, un endettement trop important des ménages, à un manque de marché locatif privé et à un manque de logements intermédiaires dans un contexte de distorsion, il leur est donc recommandé de réduire le biais d’endettement des ménages et les distorsions sur le marché du logement, notamment en soutenant le développement du secteur locatif privé et en prenant des mesures pour accroître l’offre de logements.
  • L’Espagne doit faire des progrès en matière d’efficacité énergétique et il lui est recommandé d’accroître la disponibilité de logements sociaux et abordables et efficaces énergétiquement  y compris par la rénovation.
  • La Suède où est observé une sur régulation du marché locatif devrait réduire les risques liés à l’endettement élevé des ménages et aux déséquilibres du marché de l’habitation en réduisant la déductibilité fiscale des paiements d’intérêts hypothécaires ou en augmentant les impôts fonciers récurrents. Il est également recommandé de stimuler l’investissement dans la construction résidentielle afin d’atténuer les pénuries les plus urgentes, notamment en supprimant les obstacles structurels à la construction et en assurant l’approvisionnement en terrains constructibles et d’améliorer l’efficacité du marché du logement, notamment en introduisant des réformes sur le marché locatif.

D’autres pays font l’objet d’analyse de la situation du logement mais sans conduire à des recommandation spécifiques : la nécessaire rénovation énergétique pour la Croatie, la qualité du logement social en Lettonie, le manque de logements abordables au Luxembourg et de nécessité de réforme de l’investissement dans le logement social en Slovaquie.

L’analyse de la situation pour la France de la question du logement dans les propositions de recommandations par pays se concentre sur les mesures en matière d’efficacité énergétique mais ne fait pas l’objet de recommandations :  L’accroissement de l’efficacité énergétique et la diminution de la consommation d’énergie contribueraient à réduire les émissions et la dépendance aux combustibles fossiles. En France, la construction et l’utilisation des bâtiments sont responsables de 25 % de l’ensemble des émissions de gaz à effet de serre. Le plan pour la reprise et la résilience comprend un volet entier consacré à la rénovation énergétique des bâtiments, qui aidera à relever les défis connexes par une approche générale et transversale. Les mesures couvrent tous les types de bâtiments, en accordant la priorité aux bâtiments publics, mais une action importante est également prévue pour rénover le parc immobilier privé et les logements sociaux et pour accroître l’efficacité énergétique des petites entreprises. Dans le contexte de son nouveau plan national pour la résilience, la France renforce les mécanismes de soutien au chauffage des bâtiments à partir d’énergies renouvelables, par exemple en dotant le Fonds Chaleur de 150 millions d’euros supplémentaires et en augmentant la subvention à l’installation d’un système de chauffage à partir d’énergies renouvelables de 1 000 EUR. La stratégie nationale Bas carbone française définit une trajectoire ambitieuse pour réduire les émissions des bâtiments et parvenir à une décarbonation complète de l’énergie consommée dans les bâtiments d’ici à 2050. Le programme actuel «Ma prime Rénov», qui cible les ménages, subventionne principalement les actions de rénovation individuelles. Pour encourager des gains d’efficacité énergétique plus importants, le cadre réglementaire pourrait être amélioré afin d’inciter aux rénovations en profondeur et d’aider la France à accroître encore l’efficacité énergétique de son parc immobilier. La loi Climat et Résilience adoptée en août 2021 vise à réduire la consommation d’énergie de nombreuses manières; par exemple en octroyant des aides à l’achat de vélos électriques et en créant des zones à faibles émissions dans les grandes agglomérations.

Ces recommandations devront être adoptées par le Conseil européen pour que débute leur mise en œuvre par le semestre national.

La Commission européenne a également publié ses rapports d’analyses approfondies par pays, qui accompagnent les propositions de recommandations.

Pour la France, l’analyse rappelle les réformes du plan de reprise et de résilience notamment celles pour investir dans la rénovation énergétique des bâtiments incluant le logement social et souligne la nécessité de renforcer les efforts vers une transition écologique et équitable.

Elle porte également sur la stabilité des finances publiques et reprend la position de la Cour des Comptes relative à la possibilité de réaliser des économies et d’améliorer l’efficience de la dépense publique dans 5 domaines, dont le logement social.

Le rapport relève par ailleurs que l’accès à des logements sociaux abordables dans certaines régions pose problème, en particulier pour les ménages les plus pauvres, la crise sanitaire ayant renforcé cela ce qui impacte le risque de pauvreté dans un contexte de coût croissant du logement.

Il existe également d’importantes différences régionales au niveau de l’accès aux logements sociaux compte tenu des variations de la demande et selon si les villes et les régions atteignent ou non les objectifs fixés par la loi en ce qui concerne la construction de logements sociaux. L’accès à des logements sociaux abordables, notamment pour les ménages les plus pauvres, pose problème, notamment dans les régions ultrapériphériques.

L’action européenne y est relevé à travers ses différents fonds mais également son expertise grâce à un appui technique qui a été utilisé dans la mise en œuvre du plan quinquennal logement d’abord.

Le tableau de bord social pour la France montre une surcharge des coûts du logement pour 5.9% de la population en 2020.

 

Ce semestre 2022, à nouveau contraint de s’adapter, revient néanmoins à ses bases et étudie à nouveaux la question du logement. Le manque de logements sociaux, le caractère abordable du logement et les enjeux en matière d’efficacité énergétique font, à nouveau, partie de la coordination des politiques économiques européennes.

Face aux défis gigantesques à relever, les investissements massifs seront nécessaires pour réaliser le pacte vert et mettre en œuvre le socle européen des droits sociaux dans un contexte de guerre et de sécurité énergétique. Le logement et le logement social devront être présents et soutenus pour y arriver.

Pour en savoir plus : Semestre Européen 2021 : Après la gestion de crise, un semestre exceptionnel pour faciliter la relance. | Union Europe (union-habitat-bruxelles.eu)

Virginie Toussain

Responsable juridique

Mission Affaires Européennes

virginie.toussain@union-habitat.org

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